PETITE PROMENADE LITTÉRAIRE...
(5/6)
Quand la terre y est seulement molle toutes les fréquentations s’inscrivent. Ceux de la ferme, en cas de besoin, quittent leur outil et descendent dans le chemin pour reconnaître les traces : le train de bottes, le dessin des pneus. Tout de suite après la guerre surtout, quand les bottes ou les pneus de vélo étaient rares, il était possible d’apprendre les traits par quoi chacun signait son passage. Ainsi les événements infimes sont enregistrés, le sens des pas, la course des bêtes, pour quelque temps demeurent marqués, jusqu’à l’effacement par d’autres pieds ou par la pluie.
L’inconnu commençait à partir du ruisseau où des glaçons pendaient aux herbes et dont l’eau étrangère déjà usait la neige. Une branche morte en travers et sur quoi le courant giclait, gelait à mesure, ne montrait aucune différence avec un arbre noir tombé sur la rivière. La neige par ces écorces traversait légèrement le tumulte d’eau. Des traces de loutre, les premières, pouvaient être cherchées autour. À propos de certaines empreintes, celles découvertes au voisinage encore des bâtiments (un grand lièvre parfois visitait le potager), il s’était souvent demandé si la faim avait fait s’enhardir les bêtes ou si la neige simplement révélait ce qui avait lieu chaque nuit.
Canada
Nous marchons de façon à ne pas effacer les traces, je crains de ne pas retrouver l’endroit sur cette charroyère marquée par le rare passage des outils entre les cultures et une portion de forêt, mais si ! Au sanglier, Andreï voit que j’ai su lire, il me fait quand même avec ses deux pouces un geste décrivant les défenses comme si elles sortaient de sa bouche… je montre en écartant les bras que l’animal devait être gros : « Da,da ! » Devant les pinces des cervidés, il se fait vite deux petites cornes. Sourires. Pour le renard – nous sommes accroupis – je ne connais pas le nom mais Andreï décrit le mouvement d’une queue touffue, amusé de voir que j’ai compris. Au milieu d’une flaque de boue tendre, voilà ! C’est la grosse trace nette et brutale… « Sabaka ! » Bien ce que je craignais, « sabaka », mais je préfère ne pas rêver à tort. Andréï se penche vers la boue, dans la pâte brune enfonce les doigts et me dessine l’empreinte du loup qui en effet eût été plus longue, d’un petit bâton il grave tout en haut deux griffes. Nous retournons vers le feu.
Ruault a ses passées, comme les bêtes dans les épines. Il évite de marcher sur les châtaignes et n’en serre pas non plus, les bogues écrasées garderaient la trace. Par contre sous les pommiers il examine les pommes, à la recherche d’un lièvre. S’il y en a un dans les parages, le mieux est d’apprendre son habitude. Deux pommes à cidre qui ne sont pas rongées du même jour sont assez. Ruault rappelle sa chienne, qu’elle ne le devance pas, et pense à la végétation des alentours pour deviner le gîte.
Quand le jour commence juste à blanchir derrière les arbres, horizon toujours enfoui sous l’épaisseur même sans feuilles végétale, ils découvrent, entre les lambeaux de clarté que la neige produit, sous l’éclairage boueux crépusculaire mobile, des traces – elles-mêmes semblent bouger – piétinements emmêlés d’aurochs que coupe çà ou là une glissade du sabot qui dérape sur la pente, gras dégel de la terre argileuse. Peu de sang mais du sang teinte la neige terreuse, autour fleurie en creux par les coussinets racornis des loups, à chaque fois cinq pétales. Leurs yeux luisants sans doute encerclaient, cette fin de nuit, le choc sous la poussée des muscles, l’écrasement corne contre corne…
Pour continuer, prenez la chemin... le chemin