PETITE PROMENADE LITTÉRAIRE
dans l’œuvre de Jean-Loup Trassard
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Du creusement des chemins il n’est pas d’explication complète, surtout assez sensible pour en justifier la constance, l’ampleur. Chemins qui bifurquent, zigzaguent, se joignent ou se divisent, creusés quelquefois de deux mètres, en tout cas serrés sur leurs flancs par des talus qui d’autant les approfondissent, ceux-là hérissés d’arbres, broussailles, arbustes dont les branches tendues couvrent, rendent obscur le chemin, couloir de terre sous une basse voûte de feuilles, au long duquel marcher tourner était comme se remémorer par les jambes un souvenir, sous le murmure des feuilles sèches, bruissantes aux chevilles, et soudain la rêverie, l’attente, heurtait dans l’ombre une odeur, patates cuites ou fumée.
Les étables sont creuses, nous dans l’ombre pour y enlever le fumier, feuilles de châtaignier noires ou fougères quelquefois, le sol baisse à mesure, ensuite fourré d’une litière épaisse. Les râteliers chargés de foin, les crèches sont emplies à grandes resses d’un mélange de betteraves hachées avec la balle des grains. Bâtiment pour l’accueil au soir du bétail à lenteur de lait, où le troupeau descend, se serre – dehors la pluie menée par le vent d’ouest, la neige boueuse, mais les lucarnes, les portes, sont fermées, seulement l’abat-foin communique avec les greniers pleins – l’étable se réchauffe de pelages et soupirs.
Au cœur il y a des massifs épineux. Même les bêtes à fourrure qui se glissent entre les racines et les grimpereaux griffeurs d’écorces s’en détournent. J’y descends derrière les aiguilles acérées d’acacias sans âge sur lesquels tissent les araignées : une invisible cavité, l’entassement des feuilles où m’enfouir. Je bois la pluie, la sève, juste là où s’ouvrent en deux les fruits blancs pour laisser poindre la forêt sombre. Chênes, sapins, plongent droit dans la terre, les hêtres vont obliquement, d’autres s’attachent en surface, par l’enchevêtrement des racines ils retiennent un sol léger et tiède, immobile terreau, ou si lentement brassé. Je dors contre le lit, épais et doux, que la forêt s’est fait d’effeuillements millénaires.
Je m’enfuyais dans la chevelure éparse de la ferme. Le foin de juin s’étant rassis dans les greniers, je me glissais contre les toits. J’y demeurais à plat, écoutant les moineaux marcher juste sur ma figure, sur l’autre face de l’ardoise. Je creusais le terrier où vivre d’une tiédeur montée de l’étable. Les sons ne me parvenaient qu’étouffés, plainte des dindes, manche de fourche heurtant le mur. Je savais la mesure du foin, il fallait chaque année attendre le printemps pour voir les greniers presque vides. Alors marchant sur le tapis épais des graines déposées, j’ouvrais vers la mare les fenêtres de mon domaine, les portes des goulets.