PETIT LEXIQUE DE PATOIS MAYENNAIS
Quelques exemples de patois mayennais tirés des contributions régulières que j’ai données à L’Hirondelle, petite publication éditée par le conseil municipal de Saint-Hilaire-du-Maine. C’est un jeu. Mais je lui vois une fonction : réhabiliter le patois dans l’estime de ceux qui l’ont abandonné, chasser l’humiliation des parleurs de patois devant l’Histoire. Car il n’y a pas de langues mauvaises, toutes servent à communiquer et toutes ont une histoire.
JLT
Voir également le petit livre publié aux éditions Le Temps qu'il fait en 2012 : Causement où l'on trouve plus de 80 mots de patois expliqués. Vous y trouverez des précisions sur l'origine d'Achée, Bloces, Guibet, Liette, Rote, Vlimeux..., mais aussi sur Barbeyer, Claver, Éteurper, Fouger, Micer, Roler...
Abeuvrer : abreuver.
La forme employée est quelquefois abeurver, le r – consonne qui bouge facilement – pouvant être mis avant le v. On pourrait croire que c‘est là une déformation du français moderne « abreuver », il n’en est rien : l’Ancien français a connu au XIIe siècle un verbe abevrer avec ce même sens d’abreuver.
Actoner : bégayer.
Ce mot pose un problème. Entre le XIIe et le XVe siècle, il y eut des verbes actainer et atainer (ou ataïner) qui signifiaient : quereller, irriter, harceler… Mais cela ne fait pas notre affaire. Tout juste peut-on constater que ataïner vient d’ataïne et que ce nom, après querelle et colère, exprime la peine et l’effort. Chez celui qui peine à parler, il y a bien un effort. La forme ancienne existe mais son lien avec notre patois n’est pas encore clairement établi.
Amont : contre (on peut dire « amont la haie », « amont l’mur »).
Nous employons comme préposition ce mot qui, selon tous les dictionnaires, est un nom masculin : « hauteur d’où vient un cours d’eau » (en opposition à l’aval, vers quoi il descend). Notre pratique est sans doute issue de la langue ancienne car dans les traités de fauconnerie, depuis le Moyen Âge, on dit « mettre l’oiseau amont » pour le lancer, et « tenir amont » quand l’oiseau de proie se maintient en l’air avant de découvrir le gibier. De même, au XVIe siècle on pouvait dire « marcher à mont », en montant, et « marcher à val », en descendant ; donc, avec un sens un peu différent de celui que nous lui donnons, employer le terme également comme préposition.
Avaine : avoine.
Du XIIIe au XVIe siècle, nous trouvons aussi bien aveine que avaine (dans Le Roman de la Rose). Littré note que aveine est la prononciation du mot « avoine » dans l’ouest de la France.
Baller : pendre (de façon passive, comme une branche cassée qui balle).
Le verbe baller, encore inscrit dans les dictionnaires au sens de « danser », n’est même plus employé. Mais l’usage que nous en faisons est encore entendu dans une expression comme « bras ballants ». Larousse et Littré mentionnent seulement les adjectifs « ballant, ballante : qui pend, qui oscille ». C’est avec ce sens de « pendre », qui n’a semble-t-il plus cours en français, que nous utilisons le verbe.
Benaise : content.
Est-ce une contraction de « bien aise » ? Ce mot, qui existe également en patois lyonnais, semble en tout cas parent des formes qu’on a connues au XVIe siècle : benastru ou beneuré, heureux, bienheureux, né sous un astre favorable.
Bener : pleurer, gémir, se plaindre.
Il se pourrait que ce verbe n’ait pas d’autre origine que « benêt ». Ce serait donc « gémir comme un benêt » – nom qui vient lui-même de béni, quand on voulait croire que les simples d’esprit étaient favorisés du ciel.
B’lin : jeune mouton mâle.
Du XIIIe au XVIe siècle, belin a le sens de « bélier ». Toutefois, les dictionnaires ne sont pas d’accord sur l’origine : l’un dit que le mot vient du germanique bel, « cloche » ; l’autre du latin balare, « bêler ».
Bouiner : n’avancer à rien dans le travail, ou faire des petites choses sans importance.
Ce verbe existe aussi dans le patois de la Sarthe. Aux XIIe et XIIIe siècles, buisnart signifiait « niais, imbécile »… On pourrait être passé de ce qualificatif à l’idée d’une personne incapable de travail sérieux. Une autre piste serait un terme du latin populaire, binare, qui veut dire « faire quelque chose une deuxième fois ».
Bouis : buis.
Il s’agit d’une forme ancienne du mot, en usage aux XVIe-XVIIe siècles. Et non pas, contrairement à ce qu’on pourrait croire, d’une déformation du français ou d’une mauvaise prononciation.
Caige : cage.
Au XIIe siècle, la lettre i que le français a perdue et que nous avons conservée se rencontre sous les formes caive et caie.
Chamberière : chambrière (piquet, mobile sur un anneau, placé sous les charrettes et tombereaux pour leur permettre de rester à l’horizontale quand ils ne sont pas attelés).
Là aussi nous avons conservé une forme que le français a éliminée. Ainsi lit-on dans le Roman de la Rose du XIIIe siècle, que celle qui s’occupe des chambres est nommée chamberière, le sens est différent mais le mot est exactement le même.
Etournia : étourneau.
Dans Le Roman de la Rose, les étourneaux sont nommés estorniaus, preuve que le i supprimé par le français et que nous prononçons n’est pas une faute ni une fantaisie, il a une origine ancienne.
Giguer : ruer, ou lancer des coups de pattes.
Le verbe existait bien en ancien français mais avec un sens différent : « folâtrer ». Il est même passé dans le dictionnaire Littré (1863-1872) au sens de « danser, sauter », provenant de la gigue, une danse « au mouvement vif et gai ». Nous en avons détourné le sens pour décrire l’animal qui joue des pattes.
Giler : jaillir en éclaboussant, c’est à dire gicler.
Verbe que Larousse classe dans le français mais que Littré considérait au XIXe siècle comme disparu, mentionnant tout de même giler comme « forme normande du verbe gicler ».
Employé par exemple dans l'expression « eune paffe su la goule ». Littré ne donne pas ce mot comme français, il garde cependant goulée, « grosse bouchée». En Ancien français on trouve gole : « gueule, bouche, gosier, gorge, bouche des animaux », du latin gula.
Hèses : les côtés gauche et droit de la charrette à foin (fermée aux deux bouts par les échelons).
Dans la langue du XVIIe siècle, on trouve hese, espèce de barrière, clôture, à la suite du Moyen Âge où hese, parfois écrit haise, signifiait « haie ».
Il ne s’agit pas d’une déformation du mot, mais de l'une des façons d’écrire le nom de cette plante au Moyen Âge. La consonne r a été déplacée au fil du temps.
Miette : peu.
Employé par exemple dans l'expression « miette meuchant ». Au Moyen Âge, miette a le sens de « mie de pain ». En même temps, du XIe au XIXe siècle, mie a été employé dans le sens de « peu ». Chez nous, c’est miette qui a pris et gardé cette signification.
Ouvraige : ouvrage, travail.
Parmi les formes anciennes il y avait ouvraigne, où l’on voit la présence du i, qui ne résulte donc pas d’une déformation. Dans les écrits de Joachim du Bellay (1549), on rencontre aussi « ouvraige ». Selon Littré, on dit encore « ouvraige » en Bourgogne au XIXe siècle.
Pilet : poteau sur lequel tourne la barrière.
En Ancien français, il n’y a pas notre mot mais des mots apparentés : pilot pour « poteau, grand pieu », et pileret pour « petit pilier ». Le tout venant du latin pila, « colonne », qui a donné « pilier » en français.
Trolée : grand nombre.
Le mot viendrait de la chasse à courre. Du XIIe au XVIe, troller, veut dire « faire aller çà et là un cerf », ou encore, « quêter au hasard », puis par extension, « traîner partout ». Le Dictionnaire Historique de la Langue Française d’Alain Rey dit que la trolée, mot du XIIIe siècle pour cette action de chasse, a été repris au XXe avec le sens de grande quantité, ou bande. Ainsi, on dit « une trolée d’enfants »).
Villaige : village
À lire également Le patois de la Mayenne par Jean-Loup Trassard
(intervention à la journée d’étude « Mémoire et identité rurales » organisée par l'Université d’Angers le 15 mars 2002).