PETITE PROMENADE LITTÉRAIRE...
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Le jeudi, le dimanche, il m’arrivait de me tenir tout l’après midi sur la dalle rehaussée du foyer, accroupi entre les landiers. Parfois de grandes culottes fumantes m’entouraient, m’enfermaient avec le feu sur lequel tombait un peu de pluie. La louche pour la soupe, l’écumoire, le trépied et la tuile à galettes me dominaient et, plus loin dans le corps de la cheminée, les andouilles aux chiffons noircis, hissées à bout de perches sur le passage de la fumée. Je gardais le feu endormi, soucieux de ne rien activer. Une chatte, jaune, blanche et noire venait au bord de la cendre. Elle se fermait en boule, face au feu.
Paroles de laine
À la Toussaint, les feux de barbeyures – tout ce qui est retranché aux haies pour que le tour des champs soit propre – feux nourris à la fourche, qui dès la chute des charges lancent haut dans le crépuscule leurs étincelles crépitantes et qu’ensuite, ayant repoussé vers le centre tous les bouts mal brûlés qui font cercle fumant autour des braises, on laisse pour la nuit mouriner, les feux sont éteints depuis quelques jours déjà pour que commencent les labours. Joseph qui était aux barbeyages a dû participer à la flambée de quelques fournia avant de retourner aux taupes. Restent les ronds de cendre muets, celui qui sait voir y nomme le pas des bêtes nocturnes.
Conversation avec le taupier
C’est en demi-cercle devant les flammes encore – on avait jeté au feu le reste du fagot – que la famille, le commis, mangeaient, chacun son écuelle en terre, la soupe du soir. La porte était fermée sur ce feu, au-dessus duquel était accrochée, noire, la marmite nourricière. Les dispersions de cultivateurs dans la campagne se nombraient par feux et celui-là seul comptait. Qui, s’écartant du chemin nocturne, osait heurter la porte à l’heure du souper constatait, par l’entrebaillée, que les flammes dansaient le long des murs intérieurs sur les portes d’armoires.
Archéologie des feux
Ramifiant à partir de la cheminée centrale, le feu avait d’abord embrasé le haut du bûcher, puis il était progressivement descendu, avait élargi son domaine vers la périphérie. On le tenait pour empêcher qu’il ne se précipitât d’un côté plus que d’un autre et quand il arrivait en bas – « le feu vient au pied », disait-il – je l’imaginais dompté une fois encore. En utilisant un peu de vent l’homme avait excité puis modéré le fauve et le feu se couchait à son pied, près du sabot qui écrasait la place noire, l’ancienne faulde recuite. Au soir du quatrième jour il était là et, l’obscurité venue, je pouvais par les trous de tirage, tout en bas, apercevoir la braise, telle des yeux de loup dans la forêt nocturne.
Lunes grises