Toujours pressée d’envahir les champs, et surtout le jardin (heureusement, elle s’arrache bien, la tige ne se casse pas et la racine suit), la capselle produit de minuscules fleurs blanches à quatre pétales – c’est une crucifère, comme le chou – et ensuite des graines qui la rendent facile à identifier ; et qui lui ont valu, il y a longtemps, le surnom de bourse à pasteur, parce que les bergers portaient un sac double à peu près de cette forme, un cœur à l’envers.
Jadis, on considérait que ses feuilles bouillies dans du vin pouvaient arrêter les hémorragies (estomac, poumons, etc.). En infusion à boire, la plante aurait été efficace aussi contre les rhumatismes. Appliquée sur la peau, une décoction concentrée de capselle (obtenue en mettant une bonne quantité de plantes dans l’eau froide et en faisant bouillir) aurait aidé les blessures à se refermer.
Le séneçonLe séneçon vulgaire est une plante d’une vingtaine de centimètres en hauteur, au feuillage très découpé, d’un vert un peu gris. Ses fleurs jaunes sont à peine visibles, semblables à de minuscules fleurs de pissenlit fermées. En même temps qu’elle est fleurie, la plante présente souvent des graines déjà mûres. Son nom vient du latin
senex, «vieillard», par allusion aux poils blancs des aigrettes qui couronnent ces graines.
Le séneçon aime l’humus profond aussi le trouve-t-on plus encore dans les jardins que dans les champs. Il s’arrache facilement mais, quelques jours après être tombées, les graines font déjà sortir de terre, et en nombre, de nouveaux plants ! On le trouve fleuri jusqu’aux fortes gelées.
Dans la médecine par les plantes, on a utilisé le séneçon vulgaire en gynécologie, quoique cette plante contienne un composé chimique vénéneux. Ses graines sont vendues pour les oiseaux en cage.
La fumeterreLa fumeterre officinale est assez répandue dans les champs, et aussi dans les jardins quand on y laisse une planche en friche. Le
Larousse agricole dit que c’est « une plante salissante des champs fertiles et riches en humus ». En fait, elle aime les sols argileux, c’est pourquoi elle est courante chez nous. Et résistante, car on trouve la fumeterre fleurie jusqu’aux premières gelées de novembre. Ses fleurs disposées en minuscules grappes sont blanches, fortement teintées de pourpre. Vers la cime de la plante, la couleur se resserre, devient rouge presque noir. Les feuilles, très découpées, sont d’un vert un peu gris, surtout par temps sec. C’est de là que vient le nom de fumeterre, ainsi que des plantes de sa famille, les Fumaciacées (du latin
fumus, « fumée ») ; en effet le vert des feuilles, qui tend vers le gris ou le bleu, donne parfois l’impression, au loin, d’une légère fumée au ras de terre. Par ailleurs, la fumeterre est dite
officinale (l’officine était l’atelier des premiers pharmaciens) parce que, autrefois, on s’en servait pour préparer un sirop dépuratif, qui devait aider l’organisme à éliminer les substances nocives. Il ne semble pas que les laboratoires pharmaceutiques aient continué à faire appel aux vertus de la fumeterre, qui n’est plus qu’une familière des potagers !
Le plantainComme beaucoup de plantes, le plantain existe sous diverses espèces. Chez nous, il s’agit soit du plantain majeur, plante vivace qui dresse une touffe de feuilles épaisses avec, au milieu, des hampes porteuses de fleurs. Fleurs en épi au bout de chaque hampe, d’une couleur blanche légèrement cassée de rose. Soit du plantain lancéolé, nommé aussi
herbe à cinq coutures ou
oreilles de lièvre. Les feuilles très vertes portent cinq côtes qui, depuis la queue vont en s’écartant pour se rapprocher ensuite jusqu’à la pointe, donnant la forme lancéolée, en fer de lance. Pourtant, à l’époque où les guerriers portaient encore des lances, les Romains ont nommé
plantago – à cause d’une vague ressemblance avec l’empreinte d’une plante de pied – ce qui est devenu, en France, le plantain. Sur l’espèce dite
lancéolée, plus modeste, nous ne voyons pratiquement pas les fleurs, seulement des tiges, couchées avec les feuilles, qui portent les graines presque jusqu’à leur base.
Ces graines sont utiles pour nourrir les petits oiseaux en cage, mais surtout le plantain est une plante médicinale intéressante. Une décoction – l’eau dans laquelle on a plongé les feuilles à froid ensuite portée à ébullition – permettait de laver les yeux contre la conjonctivite. Les feuilles sèches, après traitement par décoction, donnaient des cataplasmes contre les dartres. Surtout, les feuilles fraîches, écrasées ou hachées pour que le suc en sorte, calment les piqûres d’abeilles ou de guêpes, sont efficaces pour arrêter le sang des blessures, éviter l’inflammation et guérir les plaies qui tardent à se fermer.
La mercurialeSon nom vient de Mercure, dieu de la guerre dans la mythologie grecque, sans que l’on comprenne quelle relation il a pu y avoir entre eux. En tout cas, la mercuriale annuelle, nommée aussi
rimberge, fait essentiellement partie des plantes indésirables que nous rencontrons dans le jardin et dans les champs. Car au contraire de sa parente, la mercuriale des bois, velue et vivace, elle préfère la bonne terre des terrains cultivés. En hauteur, elle ne dépasse guère les 30 cm. Ses feuilles sont d’un vert assez clair, non poilues, et ses fleurs minuscules plus verdâtres que blanches.
Dans les siècles où, faute de médicaments, on utilisait les plantes pour se soigner, le jus des feuilles de mercuriale mises à bouillir avec un peu d’eau et mélangé à du miel servait à préparer des lavements purgatifs, ce qui fait comprendre un autre surnom de cette plante :
foirole !
La cardamineEn avril, la cardamine des prés dresse sa tige fleurie (d’environ 20 cm) dans les prairies humides et même sur la berme des petites routes ; c’est alors qu’on la remarque, trop tard pour la salade !
Crucifère sa famille, ses fleurs sont donc formées de quatre pétales. De loin elles paraissent blanches, mais elles le sont rarement. De près, on constate en effet une teinte dite «lilas», c’est-à-dire un peu mauve, quelquefois un peu rose.
La cardamine, dont le nom passant par le latin
cardamina nous vient du grec
kardamon qui signifie « cresson », est aussi nommée
cressonnette ou
cresson de cheval. Elle fut, comme beaucoup de plantes sauvages aujourd’hui méconnues, utilisée jadis à titre de médicament pour ses propriétés dépuratives ou contre les affections nerveuses (hystérie, convulsions, spasmes) et aussi contre les douleurs rhumatismales.
Riche en vitamine C, la cardamine a un autre mérite : d’une saveur analogue à celle du cresson, elle est recommandée à la consommation. C’est l’une de nos meilleures salades sauvages, après le pissenlit et la mâche. Aussi a-t-elle eu sa place, autrefois, dans un coin à l’ombre des potagers. Le bon conseil à suivre est de cueillir les feuilles avant la floraison de la plante, elles sont plus tendres !
Le bouillon blancQui ne connaît cette plante dont la tige, très droite, peut atteindre 2 m, terminée par un épi de petites fleurs jaunes ? On trouve le bouillon blanc dans les lieux vagues, non exploités, sur une butte où l’herbe est pauvre, entre des bâtiments secondaires, près d’un dépotoir ou d’un chemin, pourvu que ce soit au soleil. Ses feuilles surtout sont remarquables : d’un vert argenté, très épaisses parce que couvertes de poils denses et doux qui leur donnent au toucher comme à la vue un aspect cotonneux. La plante étant bisannuelle, ses feuilles sont largement étalées sur le sol dès l’automne qui précède la floraison, l’été suivant.
Le bouillon blanc, nommé aussi
molène, fut longtemps considéré comme utile : ses racines seraient bonnes pour engraisser les volailles, et les abeilles trouvent sur ses fleurs un nectar abondant. Mais surtout, une tisane préparée avec ses fleurs séchées calme la toux bronchitique et l’asthme. Avec ses fleurs sèches, on fabrique également une teinture à passer sur les engelures, à frotter sur les rhumatismes. Enfin, les fleurs fraîches, jaunes, bouillies dans du lait, pourraient guérir les dartres.
L’euphorbeSept cents espèces dans le monde, cinquante en France et au moins deux en Mayenne ! Un suc laiteux, épais, blanc et âcre, s’écoule quand on casse la tige ou arrache les feuilles de l’euphorbe. Il passe pour détruire les verrues mais provoque aux yeux une violente démangeaison si la main malencontreusement le porte jusque-là. Il pourrait, chez certaines personnes, provoquer des brûlures de la peau. Les euphorbes sont vénéneuses pour les bestiaux, qui se gardent bien d’en manger.
La première de nos espèces préfère les talus, le pied de haie dans les prairies, les chemins. Ses fleurs très petites et vert jaunâtre, soutenues par une collerette de même teinte, se détachent sur le vert au contraire foncé des feuilles, lesquelles sont assez fournies autour d’une tige rouge. Plusieurs de ces tiges (25 à 30 cm environ) montent de la racine et forment touffe.
L’autre est moins haute (15 à 25 cm environ). Elle pousse dans les jardins et quelquefois les champs. Ses fleurs infimes, de couleur vert jaunâtre aussi, sont regroupées en ombelle au-dessus d’un feuillage maigrelet, vert clair. Le plus souvent elle n’a qu’une tige, mais peut aller jusqu’à deux ou trois sur la même racine. La construction de cette plante est extrêmement régulière : la tige verticale donne naissance à cinq bras divergents et chacun d’eux à trois tigelles qui, elles, se terminent en trois fois deux fleurs. Toutefois, il est possible que d’autres inflorescences s’ajoutent par la suite, venant en quelque sorte rompre cette arithmétique !
L’achilléeEn automne, une tache blanche dans l’herbe des prairies ou des haies, c’est à peu près sûrement une touffe d’achillée millefeuilles. Cette plante fleurit en effet de mai à novembre et dans toutes sortes de terrains, en France, en Europe et jusqu’en Sibérie.
L’achillée est vivace. Ses fleurs blanches, parfois rosées, ressemblent un peu à des ombelles mais n’en sont point puisque leurs pédoncules ne partent pas tous du même endroit sur la tige principale, bien que les petites fleurs se rejoignent presque sur le même plan. Les botanistes nomment cette disposition « en corymbe ».
Les Grecs de l’Antiquité regardaient l’achillée comme pouvant arrêter les épanchements de sang, même internes. Plus tard, on l’a utilisée contre la fièvre et pour arrêter les saignements de nez, soigner les ulcères, les blessures. C’est pourquoi parmi ses noms populaires, il y a
herbe aux charpentiers (se seraient-ils blessés plus que d’autres artisans ?),
herbe à coupures,
herbe aux militaires (à cause des coups de sabre ?)…
L’achillée reste aujourd’hui, chez les herboristes, considérée comme vulnéraire (guérissant les blessures), astringente (guérissant la colique) et stimulante (aidant à accroître l’activité). Pour de tels soins, on peut récolter le sommet fleuri de la plante durant tout l’été. Elle ne donne qu’un fourrage médiocre, mais à cause de sa légère odeur aromatique on a pu s’en servir en Suède à la place du houblon pour faire de la bière, en Suisse comme une sorte de thé, en Angleterre comme tabac à priser…
Évidemment, il ne s’agit pas ici de recommander ces divers usages, mais de montrer que l’achillée, plante discrète, enfermée chez nous avec tant d’autres dans le vocable général de
bourrier, a eu autrefois une certaine utilité et donc mérité de l’estime ! Voire le respect, comme Achille, le héros antique dont son nom est issu.
La bryone« Des familles entières qui s’en étaient nourries ont été empoisonnées » (Ch. Cornevin,
Des plantes vénéneuses). La bryone est courante chez nous, mieux vaudrait dire grimpante d’ailleurs, car si elle peut attraper une branche de pommier au fond du jardin, elle monte jusqu’en haut, usant pour s’accrocher des vrilles dont elle est pourvue comme la vigne. Ses feuilles aussi ressemblent à celles de la vigne, bien qu’elles soient d’un vert plus gris et légèrement râpeuses.
Ce qui caractérise au mieux la bryone, c’est l’odeur désagréable qui se dégage des feuilles et des tiges, râpeuses elle aussi, quand on les arrache. Les botanistes la qualifient de
vireuse, ou
nauséeuse. Heureusement, ce sont souvent les plantes vénéneuses qui ont une odeur repoussante, à cause de leur composition chimique plutôt que par intention de nous annoncer un danger !
Les petites fleurs de la bryone sont d’un blanc verdâtre, mais les fleurs mâles et les fleurs femelles ne se trouvent jamais sur le même pied de la plante, ce sont les abeilles en recherche de nectar qui portent le pollen des fleurs à étamines jusqu’aux fleurs à ovaire et pistil. Ces dernières, une fois fécondées, forment des chapelets de petits fruits, jaunâtres puis rouges à maturité, qui restent attachés aux tiges sèches et sont emplis d’un suc visqueux. On pense qu’une quarantaine de ces baies peuvent tuer un homme et une quinzaine un enfant.
La tige, qui ne tient guère debout toute seule, part d’une étonnante racine au moins grosse comme le bras, ce pourquoi on nommait la bryone, autrefois,
navet du diable (et aussi
herbe aux femmes battues, ou
vigne de serpent). Ce rhizome charnu a pu être utilisé comme purgatif mais on s’est aperçu que la purgation n’était que l’effet d’un début d’empoisonnement par la bryonine, laquelle ne représente pourtant que 4 % de la plante (le reste étant de l’amidon), c’est dire la force de cette substance nocive.
Cependant, la racine fraîche, pilée, a pu servir à traiter les douleurs de la goutte, des rhumatismes ou des contusions (on retrouve là les femmes battues). Mais ces applications pouvant irriter la peau, elles doivent être légères, peu fréquentes, si possible associées pour les adoucir à un cataplasme de son. Surtout, ne pas tailler tout ou partie de ce faux navet dans la soupe !
La reine des présLa reine des prés fleurit de juin à septembre au bord des ruisseaux et rivières, ou en terrain marécageux. Elle se dresse facilement jusqu’à 80 cm de haut sur une tige assez raide, souvent plus rouge que verte et c’est sans doute ce port altier qui lui a valu le nom populaire de
Reine des prés. On lui a donné aussi d’autres noms familiers comme
barbe de chèvre ou
herbe aux abeilles mais, même en Italie, elle est
Regina di prati. Un peu plus sérieusement on la nomme
Spirée ulmaire.
Ce qui attire l’attention, ce sont ses nombreuses petites fleurs en grappes de couleur blanc crème et le fait qu’elles sont odorantes. Si on les froisse entre les doigts, on en fait sortir un parfum plutôt agréable que les chimistes attribuent, fort poétiquement, au «salicylate de méthyle» !
Puisque les mouillures sont drainées et les ruisseaux entretenus, on ne rencontre plus guère la reine des prés. Il faudrait pourtant lui marquer une certaine considération car aux époques où, faute de médicaments, on se soignait avec les plantes, beaucoup de vertus lui étaient reconnues. Surtout aux fleurs, mais ses feuilles et ses racines ont des propriétés voisines.
Le mieux est de cueillir les sommités fleuries en juin-juillet et de les employer fraîches. On peut aussi en faire sécher une part ; toutefois, pour qu’elles soient efficaces, il ne faut pas les garder longtemps. (Ces fleurs séchées ont même servi jadis à teindre la laine en un « très beau jaune »).
La reine des prés serait un diurétique (qui fait uriner pour éliminer l’acide urique) et un sudorifique (qui fait transpirer avec l’espoir, illusoire, d’éliminer les toxines). Et aussi un sédatif pour apaiser les douleurs musculaires, les névralgies, l’irritation des voies respiratoires. Capable même de soigner la grippe !
Mais surtout, la reine des prés, ou
Spirée ulmaire, est recommandée contre l’arthrose. « C’est le meilleur des remèdes végétaux contre le rhumatisme articulaire », a écrit le botaniste Pierre Lieutaghi (toujours bien vivant !). Une cuillerée à soupe de fleurs sèches par tasse d’eau chaude, infusion pendant dix minutes, trois à quatre tasses par jour pour les rhumatisants. Cette plante peut en effet agir comme anti-inflammatoire, calmant les douleurs rhumatismales parce qu’elle contient une substance tellement apparentée à l’aspirine que c’est du nom savant de
Spirée que le médicament si connu tire son nom !
L’arum ou gouetL’arum sauvage est le mal aimé de la famille, il n’est pas beau et il est mauvais. Écrasé par l’arum des jardins à la chair blanche immaculée autour d’un prétentieux pistil. De ce dernier, on admire les grandes fleurs en touffes près des habitations mais quant à les cueillir, elles sont si encombrantes qu’elles ne peuvent guère entrer que dans un énorme bouquet sur la table d’un mariage. Pendant ce temps, l’autre, le sauvage, se tient dans les haies et les fossés humides, aux endroits ombragés. Il attend, maléfique.
Voyons déjà son aspect : les feuilles au bout d’une assez longue queue (20 cm environ) sont en forme de flèche et, le plus souvent (pas toujours car il y a d’autres variétés), elles portent des taches violacées ou brun noirâtre. C’est pourquoi au lieu du beau nom
arum à consonance latine, on lui donne plutôt celui de
gouet taché ou
gouet à feuilles maculées. Ces taches tout de suite paraissent comme un avertissement.
La racine souterraine étant un rhizome, la plante est vivace. Mais le plus curieux est qu’au milieu des feuilles apparaît çà et là ce qu’on pourrait prendre pour une fleur à pétale vert pâle. En fait, au sommet d’une tige raide, les fleurs femelles à peine visibles sont surmontées par les fleurs mâles réunies en massue et cet ensemble est protégé par ce que les botanistes nomment une spathe, sorte de feuille roulée en cornet, de couleur verdâtre. Parce qu’elle est ouverte sur un côté, celle-ci paraît, plutôt que la protéger, présenter la massette qui, unie et violacée, semble sortir de la spathe d’une manière assez obscène.
Surnommé aussi
herbe aux crapauds, le gouet est toxique dans toutes ses parties. Pourtant, son rhizome contient un suc caustique qui fut employé très anciennement comme purgatif. Il est aussi riche en matière féculente, au point que lavé, broyé, mêlé à la farine de céréales, il aurait servi de nourriture aux populations les plus pauvres de Laponie et de Finlande. Si le bétail vient à manger quelques feuilles d’arum tacheté, leur mauvaise odeur en limitera la quantité et elles ne le rendront pas malade. Au contraire, les fleurs fécondées finissent par former sur leur tige des graines en épi serré, bien visibles cette fois puisque la spathe est tombée et que, de la grosseur d’un pois, elles sont rouge orangé très vif. Ces graines sont vénéneuses ! Des enfants non prévenus pourraient s’empoisonner jusqu’à en mourir, heureusement leur odeur fétide prévient qu’elles ne doivent pas être consommées.
Les liseronsLes liserons sont nommés
herbes volubiles, c’est-à-dire qui s’enroulent en hélice autour du corps le plus proche. Tous ont une fleur élégante avec corolle en cloche. Il y a chez nous deux variétés de liseron, toutes deux fort gênantes.
Le liseron des champs (
petit liseron ou
vrillet) rampe sur le sol tant qu’il ne trouve pas de tige pour y grimper. Feuilles et tige montrent un vert un peu gris tandis que les fleurs sont d’un blanc nettement rosé. Cette plante, avec laquelle les contacts sont rares puisqu’elle ne court pas les prairies, serait appréciée des bestiaux (comme le gui et le gaillet), mais dans les champs elle est nuisible aux céréales car elle monte le long de leur tige jusqu’à coiffer l’épi. Dans les jardins, c’est plutôt les fleurs qui en souffrent, et il est nécessaire de les dégager, avec toujours un risque d’en casser la tige.
Le liseron des haies (
grand liseron) a des feuilles en cœur d’un vert plus vif et des fleurs à large corolle blanche. S’il trouve où s’accrocher, il peut pousser ses tiges jusqu’à 5 m du pied. Quand l’une des tiges montre le chemin, d’autres savent s’entortiller sur elle, formant une sorte de corde pour aller plus haut, mais si le
grand liseron se plait en effet à monter aux arbustes, grillages et palissades, il peut aussi envahir un jardin, formant à la surface d’un carré de pommes de terre par exemple, une résille où aucune tige du légume ne pourra s’élever sans être tout de suite étranglée et asphyxiée par les spirales du liseron. C’est qu’il est particulièrement difficile de se débarrasser des liserons blanc ou rose qui enfoncent loin en terre de longs rhizomes. En se cassant ceux-là donnent, sur chaque tronçon, un nouveau pied et ce qu’on arrache en surface, les mains collantes du suc laiteux qui sort des tiges, n’empêche guère la plante de reparaître peu après !
Tous les liserons auraient des propriétés purgatives, mais celles de nos variétés étaient faibles, elles ont donc été oubliées, ainsi que les conseils d’utilisation. Notons quand même que le magnifique volubilis (ou
ipomée) bleu ciel est aussi un liseron.
La mauveRépandue dans toute l’Europe, la mauve est une plante que remarquent même ceux qui n’en connaissent pas le nom puisqu’elle se signale de mai jusqu’à l’automne par ses jolies fleurs roses. On la trouve aussi bien dans les prairies qu’à flanc de haie ou dans les fossés.
La mauve produit des fleurs nombreuses, qui se renouvellent, à cinq pétales d’un rose rarement veiné d’un peu de violet. Ces pétales, enroulés quand la fleur est en bouton, s’enroulent à nouveau quand ils fanent. Les fruits, sous les pétales tombés, se présentent comme de minuscules citrouilles (guère plus de 1 cm de diamètre) dont chaque tranche loge une seule graine. Les
lavatères roses et blanches qu’on sème dans les jardins sont de la même famille, les Malvacées.
Cette plante a fait partie de l’alimentation des Égyptiens et des Grecs de l’Antiquité. En France, au Moyen Âge, on en mangeait encore les feuilles à la façon des épinards. Mais surtout, jusqu’à l’invention des médicaments chimiques (souvent copiés sur les substances trouvées dans les plantes), on célébrait ses vertus médicinales qui s’appliquaient autant à l’intérieur du corps humain qu’à l’extérieur.
La racine, arrachée à l’automne, était utilisée en décoction concentrée (c’est-à-dire l’eau dans laquelle on avait fait bouillir assez de racines jetées ensuite) pour des lavements destinés à calmer une inflammation intestinale. Les feuilles, récoltées en juin-juillet, étaient pareillement utiles en décoction comme lavement adoucissant, par exemple pour les enfants. Les feuilles vertes hachées s’employaient comme cataplasme sur les parties du corps ayant subi un choc. Enfin les fleurs, récoltées durant tout l’été, mises à sécher à l’ombre – elles deviennent bleues alors – donnaient une bonne tisane (à raison de 10 g par litre d’eau) pour calmer la toux et l’angine.
Citons pour finir un livre merveilleux, écrit au XVIe siècle et remanié au XVIIe,
L’agriculture et maison rustique de Charles Etienne et Jean Liébaut : « La racine de mauve trempée en eau un jour entier puis enveloppée dans un papier et cuite sous les cendres, et ensuite desséchée, est un remède propre pour frotter les dents, les nettoyer et décharger du limon crasseux qui y est amassé. La décoction de ses racines et feuilles en quelque consistance épaisse sert infiniment aux femmes qui sont en travail d’enfant » !
L’ortieQui ne connaît l’ortie ? L’arrière des bâtiments, le coin ombreux des prés, l’entour des arbres… Faites brûler branches et ronces sur une prairie, les racines de l’herbe meurent sous le feu et les orties s’emparent de la place. « Vient partout sans soin et sans culture, plus qu’on ne veut », disait déjà parfaitement
La Maison Rustique de Liger en 1763.
Surtout, qui ne s’est pas frotté à l’ortie ? Car l’ortie commune (nommée
urtica dioica par Linné, le botaniste du XVIIIe siècle dont nous respectons toujours le classement), plante qui croît dans les lieux incultes, dont la tige est de section quadrangulaire et les feuilles opposées, est entièrement garnie de poils qui contiennent un acide identique à celui que nous injecte une piqûre de fourmi, entraînant une brûlure d’autant plus forte que la peau est délicate et dont la sensation sinon la douleur peut durer plusieurs heures.
Autrefois l’ortie était estimée pour ses propriétés médicinales. On lit dans Etienne et Liébaut (XVIIe siècle) : « Les feuilles, et principalement les racines de l’ortie morte, pilées et mises sur le nez arrêtent le flux de sang par le nez ; autant en font leur jus frotté au front. » Et dans Liger (XVIIIe siècle) : « La décoction des racines en forme de tisane est bonne dans la pleurésie, l’asthme, la toux opiniâtre, les fièvres malignes, la rougeole et la petite vérole [la variole]. On peut se servir des feuilles et des fleurs à la manière de thé, ce remède convient aux goutteux [contre l’arthrite] » (Liger). Au siècle dernier, on conseillait encore l’ortie en infusion contre les hémorragies et les crachements de sang ou pour purifier la poitrine, l’estomac, l’intestin et les reins (car elle devait aider à éliminer les matières malsaines par les urines). Mais surtout, la flagellation avec une poignée d’orties fraîches était recommandée, avant le coucher, contre l’arthrite et les rhumatismes ; une méthode toujours pratiquée par les anciens dans les années 1940.
Du côté de la cuisine, il faut encore observer cette vertu en l’ortie, « si on la met au pot où cuit la chair, cela fera que la chair sera plus tôt cuite » (Etienne et Liébaut, 1676). Il est connu que les orties font un excellent légume si elles sont préparées comme des épinards et que l’on peut aussi fabriquer un vinaigre de qualité à base d’ortie.
À la ferme, l’ortie coupée jeune et desséchée est un bon fourrage, notamment pour les vaches laitières. Les porcs en sont aussi friands quand elle est jeune, mais il est préférable de la leur donner cuite. Hachée menue, elle entre dans la pâtée destinée aux jeunes volailles, selon le
Larousse agricole de 1922 (dirigé par Ernest Chancrin et René Dumont. Ce dernier, ingénieur agricole, est venu après la guerre faire une enquête à Saint-Hilaire-du-Maine !)
Cependant la croissance de l’ortie dans les endroits négligés, comme sa fâcheuse tendance à nous irriter la peau, font depuis longtemps regarder cette plante de façon défavorable. Elle a ainsi été utilisée pour des commentaires négatifs, ainsi de l’expression « jeter son froc aux orties », c’est-à-dire renoncer à l’état de moine ou de curé, ou de ces deux vers de Gautier d’Arras, poète du XIIe siècle :
Car femme à prendre, c’est grand’ chose
Cil [l’un] prend l’ortie, cil [l’autre] prend la rose.
La chélidoineIl semble que ce soit elle qui nous cherche, la chélidoine. Presque toujours, c’est entre les pierres des vieux murs qu’elle s’accroche ou bien au pied, dans les décombres quand ça s’écroule, surtout si c’est un endroit frais, même l’ombre ne la gêne pas. Ainsi, elle continue à se tenir auprès de nous alors que depuis longtemps on ne lui demande plus rien.
Vous connaissez sa grosse touffe de feuilles molles, très découpées, vert assez clair, d’où sortent plusieurs tiges un peu poilues (ne dépassant guère 50 cm en hauteur) qui portent des fleurs à quatre pétales jaune pâle. Elle fleurit d’avril à octobre et, dès que la saison s’avance, elle forme à côté de ses fleurs des petites gousses qui contiennent les graines.
La chélidoine se fait passer pour une plante vivace parce qu’elle résiste plusieurs années, mais elle finit tout de même par périr. D’autres la remplacent déjà et les lieux où elle se plaît sont toujours occupés. Quand on la coupe, ou si on la froisse, elle répand une désagréable odeur, nauséabonde, dit-on, qui pourrait avertir d’un danger. Toutefois, il faut s’approcher un peu pour sentir.
Par contre, une chose facile à constater est que toutes les tiges, queues de feuilles et racines, quand on les blesse, laissent couler un suc laiteux jaune orangé (couleur jaune d’œuf), que les botanistes qualifient d’« âcre et caustique », c’est-à-dire qu’il attaque et ronge (au moins les tissus animaux et végétaux). Aussi la chélidoine a-t-elle été utilisée contre les verrues, on la surnommait alors
herbe aux verrues. Ce suc, dilué dans l’eau, a pu être employé en collyre contre l’ophtalmie (affection inflammatoire de l’œil), et cela valut à la chélidoine son autre surnom :
éclaire. On lui a également donné un rôle de purgatif, mais il faut savoir que l’introduction du suc dans l’organisme provoque nausées, vomissements et terribles coliques pouvant entraîner la mort si la quantité ingérée est excessive. Ce jus d’un si beau jaune contient deux substances hautement toxiques, notre chélidoine familière est une plante vénéneuse ! En principe, les bestiaux ne la broutent pas, les botanistes signalent pourtant qu’il y a eu des herbivores à en mourir.
Signalons enfin qu’il faudrait prononcer «kélidoine», car le
ch vient du grec, traduisant une lettre prononcé
k. Le nom que la Grèce Antique donnait à la chélidoine était dérivé de celui de l’hirondelle à cause d’une croyance : l’hirondelle aurait employé cette plante pour assurer une bonne vue à ses petits encore au nid.
La bardaneÊtes-vous bien sûr de ne pas avoir un capitule de bardane accroché dans le dos ? Les enfants aiment en lancer et chacun d’entre vous a dû attaquer ainsi le corps des copains ou de la famille. C’est vraiment le dernier usage reconnu à cette grande plante qui habite avec nous la campagne. Elle se dresse le plus souvent dans un endroit frais et de terre profonde, un peu abandonné, par exemple derrière un bâtiment de ferme où l’on dépose les outils cassés, les ferrailles pouvant un jour servir. Là, comme sur un bord de vieux chemin, elle croît en paix, seulement visitée par le malicieux qui, lui, sait quel profit il va en tirer.
En Mayenne, la bardane – il y en a cinq espèces en France – est une variété de taille modeste, elle ne monte guère au-dessus de 70 ou 80 cm grâce à une tige épaisse et garnie de poils, très solide, le long de laquelle sont attenantes de larges feuilles vert sombre. Tout en haut, mais également au bout des branches issues de la tige principale, se trouvent les fleurs pourpres, si minuscules qu’on les voit à peine, serrées dans des capitules aux étonnantes capacités accrocheuses. L’explication tient dans le fait que ces capitules sont formés de petites écailles qui se terminent en crochet. Ce n’est pas que la bardane nous propose de jouer, son but est simplement la dissémination de ses graines, quand d’autres plantes lancent les leurs par éclatement de la gousse. Elle compte plutôt sur la laine du mouton qui passera et les emportera dans une autre prairie que sur un lancer joyeux de tricot en tricot, encore que finalement le résultat puisse être le même. Sans doute son caractère s’est-il formé aux époques très lointaines près des moutons sauvages ou d’autres bêtes à poil long. Aujourd’hui, son système ne marche plus du tout, aussi la bardane va-t-elle se raréfiant.
Notre flore s’appauvrit chaque jour et bien peu s’en soucient. Il est vrai que les pouvoirs de la bardane ne sont plus reconnus. Pourtant, une décoction de racine fraîche (la faire bouillir quelques instants dans l’eau) serait diurétique et dépurative. En usage externe, les feuilles, comme la pulpe fraîche ou cuite de la racine, soignent remarquablement les furoncles. La racine broyée ou en décoction peut guérir la plupart des affections cutanées (dartres, eczéma, ulcères). De même, une infusion de feuilles fraîches en gargarisme est efficace contre angines et rhinopharyngites. Enfin, le suc de bardane – qui fut utilisé contre les venins de serpents – calme la douleur et résorbe l’enflure en cas de piqûre d’abeille ou de guêpe.
Ajoutons pour terminer que la racine pivotante se mange cuite, comme les salsifis, et que la tige (une fois grattée son écorce) ainsi que les tiges des feuilles, cuites à l’eau salée, sont bonnes en vinaigrette ou en sauce blanche. Mais… savez-vous encore où trouver un seul pied de bardane ?
L’iris jauneL’iris qui croît dans le lit des ruisseaux et sur les bords des petites rivières ne fleurit pas toujours mais quand on lui voit des fleurs elles sont jaunes, d’où le nom attribué à cette plante. On l’a aussi surnommée glaïeul des marais ou poivre des abeilles !
L’iris jaune fait partie de la famille des Iridacées comprenant 1400 espèces réparties dans les régions tempérées et chaudes. Beaucoup de celles-là ont été améliorées par les jardiniers pour en faire des plantes ornementales de diverses couleurs. L’iris le plus banal, violet, est nommé iris germanique ; mais la gamme des teintes va du blanc au violet très foncé en passant par le jaune, le bleu et le brun-grenat. Le parfum des iris comme l’abondance du nectar attirent fort les insectes.
Les fleurs se construisent sous le signe du chiffre trois : trois pétales ouverts vers l’extérieur, trois pétales internes courbés vers le cœur, trois stigmates à forme de pétales entourant une capsule à trois valves où sont logées les graines. Des feuilles droites, plates, striées, on dit qu’elles sont «en forme de sabre». La racine charnue est un rhizome qui se développe horizontalement. Et si les beaux iris peuvent fleurir sur un terrain pauvre, le rhizome de l’iris jaune, lui, peut prospérer dans l’eau.
Ce rhizome est dangereux et les autres parties de la plante sont également vénéneuses, à un moindre degré. Linné l’a signalé dès le XVIIIe siècle. Il contient une huile âcre et amère, très astringente, que la médecine d’autrefois s’est risquée à utiliser contre l’hydropisie (production et rétention d’eau dans le corps) ou pour faire vomir et purger sévèrement, le dosage en était très délicat !
Des économistes anglais ayant considéré que les graines d’iris jaune une fois torréfiées avaient un arôme semblable au café, cette boisson fut essayée en France au début du XIXe siècle : mais d’après les chimistes français elle ne mériterait rien de plus que d’être mêlée au café à la place de la chicorée. Autre recette : une décoction d’iris mélangée à de la limaille de fer produit une encre économique, qui fut utilisée en Écosse. On le comprend car qui arrache à la main les iris encombrant son ruisseau s’aperçoit que cette plante noircit bien la peau !
Clovis ayant adopté l’iris jaune comme emblème, il en fit, disent les historiens, « confectionner en or et en velours ». Aussi, les fleurs de lys d’or sur fond bleu qui ornaient les armoiries des rois de France ne sont-ils sans doute pas des lis mais plutôt des iris…
La digitaleC’est sûrement la fleur sauvage la plus connue parce que la plus spectaculaire, chacun d’entre nous a côtoyé depuis son enfance la digitale pourpre. Sur les talus, les endroits incultes, plus encore dans les taillis après la coupe du bois (elle disparaîtra dès que le couvert sera revenu), ses hampes qui montent facilement à 80 cm et la couleur des fleurs en grappes sont aisément remarquées.
Ce n’est pas une fleur printanière, elle attend au moins la fin de mai et continue à fleurir jusqu’en septembre. Digitale vient de
digitus, «le doigt» en latin. Pourtant, elle ne présente aucune forme de doigt, plutôt des petits étuis pour les doigts, d’où ses surnoms de
gantelée, ou
gants de Notre-Dame. Sur la hampe, les tout derniers boutons sont dressés mais vite, avant de s’ouvrir, les fleurs deviennent pendantes. Serrées les unes contre les autres et toutes d’un même côté de la tige, elles ont une corolle tubuleuse assez ouverte pour que nous y jetions un coup d’œil, sans essayer d’entrer dedans comme aiment à le faire les gros bourdons.
Nous verrons que le seuil sur lequel l’insecte atterrit est marqué d’ocelles blancs sur la chair pourpre de la corolle et qu’il y a, dès l’entrée comme à l’intérieur, des poils ou cils que le bourdon qui cherche le nectar doit bousculer au passage mais qui sont peut-être des défenses de la fleur contre des mouches indésirables. Les abeilles aussi doivent s’aventurer au fond des corolles car la digitale est mellifère.
Il n’empêche : toutes les parties de cette plante sont vénéneuses ! Les animaux qui le sentent n’y touchent jamais. Elle contient cinq substances dangereuses que la chimie nomme glucosides, notamment la digitaline dont l’ingestion provoque nausées, vomissements, maux de tête, bourdonnements d’oreilles, anxiété, hallucinations, un pouls plus lent et irrégulier : l’empoisonnement est insidieux, la mort peut n’arriver qu’au bout de huit ou dix jours !
Un pied de digitale vit normalement deux ans et la seconde année la concentration en digitaline est plus forte, on la puise dans le jus des feuilles fraîches. En effet, les premiers pharmaciens qui ont appris à utiliser les plantes pour soigner ont remarqué que cette dangereuse digitaline pouvait être un médicament pour le cœur. Et depuis longtemps déjà, on s’en sert à des doses très faibles comme tonique cardiovasculaire : elle ralentit le cœur, régularise et renforce ses contractions, c’est-à-dire augmente l’énergie des battements du cœur en diminuant leur nombre. Voilà que ce poison sauve les cœurs ! Pas étonnant que dans la symbolique des fleurs la digitale pourpre représente, dit-on, « l’ardeur d’un amour qui ne peut plus se cacher » !
Pour d’autres plantes dans l’œuvre de Jean-Loup Trassard, voir par exemple «
Les matricaires » ou «
La maison de famille des Araliacées »…
Chez les Romains, quand ils ont envahi la Gaule, le mot pour désigner le jardin était hortus. Employé aussi pour un parc, une maison de campagne, une ferme et même pour les produits du jardin, les légumes. Sous cette influence latine, nous avons eu au XIIe siècle un mot désignant le jardin ou le verger, un espace clos, c’était ort ; mais il n’apparaît plus dans les textes après le XIIIe siècle. C’est qu’il est battu dans l’usage par un mot d’origine germanique apparu en ancien Français dès le XIIe également, gart, assez souvent écrit jart (peut-être à cause d’une mauvaise prononciation). Il faut préciser que ce vocable germanique s’était introduit déjà dans le bas-latin ou latin médiéval, au Xe siècle, sous la forme de gardinium. La signification de gart et jart est la même que celle de ort : enclos, jardin, verger. À partir du latin hortus, abandonné, nous avons fait, mais seulement au XIXe siècle, horticulture et horticulteur.
Gart serait dérivé d’une forme gothique, garda, signifiant « clôture ». On voit là que, dès l’origine, ce qui caractérise principalement le jardin, c’est l’enclos. Le découpage d’une portion de l’espace ouvert que s’approprie celui qui invente un jardin, laquelle portion devient alors espace privé où l’on ne doit entrer que si on y est invité. Et les animaux surtout en sont écartés, les domestiques au cas où ils s’évaderaient, les sauvages surtout, lapins amateurs de choux, sangliers qui ravagent parfois, la nuit, dans un certain rayon autour de la forêt. Reste à faire tourner la crécelle pour éloigner les oiseaux !
En général, le jardin se présente comme une surface rectangulaire ou carrée, ceinte d’un mur ou d’une clôture qui peut être grillage ou végétation serrée, qui fut longtemps lice de brôs dans les fermes de la Mayenne, une haie vive d’aubépine taillée, très dense jusqu’au sol afin que les poules volontiers jardinières ne puissent la traverser. À l’intérieur de cet espace nettement délimité se joue, d’une part, un incessant combat entre le sauvage et le cultivé, d’autre part, un jeu assez complexe du jardinier avec le temps.
Une moitié du combat entre plantes sauvages et cultures n’est pas visible, c’est dans la terre une course entre les racines, à qui peut aspirer le plus de ressources nourricières, en commençant par l’eau. L’autre part est affaire d’envahissement à la surface qui oblige le jardinier à souvent arracher les plantes dites mauvaises herbes entre les plantes semées ou plantées qui s’avouent, elles, toujours plus fragiles que le bourrier, nom collectif attribué en Mayenne à toutes les plantes indésirables, qu’elles soient joliment fleuries, comme bouton d’or et véronique, ou très médiocrement, comme séneçon et laiteron. Les liserons, à grande corolle blanche comme à petite corolle rose, sont parmi les plantes qui gênent le plus en s’accrochant à toute tige verticale au point de l’étouffer.
Entrant dans le jardin, nous n’y voyons point le temps inscrit plus qu’ailleurs, il y est cependant essentiel comme partout mais, en plus, compliqué car il s’y parcellise en attentes dont les durées sont diverses, même si les échéances restent assez prévisibles. Quant à la mesure du temps, touchons déjà le tronc du pommier qui est au fond du jardin. L’ancien enfant qui autrefois grimpait jusqu’aux grosses branches par lesquelles l’arbre se divise peut le considérer comme un autre lui-même : sous son écorce familière coule avec la sève un temps qu’il scande par fleurs et fruits, plus considérable que les petits temps du jardin, puisque le pommier greffé vit à peu près une belle vie d’homme.
La longue attente du jardin est évidemment entre l’automne et le printemps, entre le moment où l’on brûle les fanes de pommes de terre avec les tiges et feuilles des derniers haricots récoltés et le moment où, dans la terre fumée, retournée, travaillée, épierrée s’il y a lieu, puis ratissée, la pointe de la binette trace un premier sillon, peu profond, qui recevra des graines. Entre ces deux moments, la terre se repose, même si elle n’est pas vide de toute présence légumière, car choux, carottes et poireaux sont encore là bien qu’ils ne s’accroissent plus. Également, quelques variétés de salades et des épinards d’hiver. Sans doute viendra la neige couvrant le jardin d’un silence absolu, effaçant même toute différence entre plates-bandes et allées, ne resteront debout alors que les poireaux montés, pour leurs graines conservés dans un coin du jardin. En hiver, le temps semble parfois s’arrêter, grave erreur, le rouet qui file notre vie continue à tourner !
Mais au printemps la roue du temps se désembourbe, en craquant se remet à tourner, nous le ressentons bien. Les touffes de fleurs vivaces ne bougent pas encore, certaines ont leurs feuilles dehors comme les iris qui ne fleuriront pourtant que fin avril, d’autres, plus nombreuses, attendent qu’une lumière assez forte aille les réveiller dans la terre pour faire sortir leurs tiges, leurs feuilles et, s’il y a du soleil, leurs fleurs – ainsi les aconits, pivoines et cœur de Marie. Le temps de ces plantes est cyclique, annuel leur rendez-vous pour colorer le jardin, rien ne peut être fait pour le hâter.
Au contraire, le terrain préparé se trouve, à la pointe des outils, fourni de graines, d’oignons, de plants, et divisé, selon les parcelles séparées par d’étroites allées en nombre de petites attentes différentes, desquelles le jardinier sera soucieux les jours suivants. Car voilà l’espace clos partagé en carreaux ou en rectangles longs nommés planches, qui parfois ne portent même qu’un seul rang de semailles comme pour les radis ou la salade laitue dont les graines vont être premières à germer et pousser une plante au jour, ou le persil qui, étant au contraire le plus lent, peut se faite attendre un mois.
Ainsi le jardin devient-il, jusqu’à son entrée dans l’hiver, un damier de temps formé d’attentes toutes différentes, d’abord pour l’apparition des plantes après semailles, ensuite pour le moment de la consommation possible, enfin pour la durée d’une croissance qui permet au légume, poireau par exemple, de rester vivant et consommable durant plusieurs mois. Ces délais ne sont pas décidés seulement par l’espèce des plantes, d’autres critères entrent en jeu comme l’écrivaient au XVIe siècle Charles Estienne et Jean Liébaut dans leur Maison Rustique : « Encore que le naturel de la terre, la clémence du ciel, la faveur de l’air et l’âge des semences fassent que les graines sortent plus tôt ou plus tard du sein de leur mère nourrice, la terre… Ce qui est semé en beau temps et serein, en lieu chaud ou exposé au soleil, de graine récente, se montre plus tôt que ce qui est semé en temps et lieu contraires. Toutefois chacune semence a un certain temps pour se manifester auquel il faut avoir égard… » Les agronomes évoquent ici indirectement la dormance des graines, qui est le temps pendant lequel la plante condense en un petit grain toutes ses vertus et caractères en attendant des conditions favorables pour sa germination. Cette durée de dormance est très variable selon les plantes.
Sur le temps de germination, le jardinier ne saurait agir, seule une petite pluie nocturne qui ne cimente pas la terre peut le raccourcir. Au contraire, dès que la plante paraît, un arrosage du soir est du meilleur effet. Car l’on considère, en général, qu’il faut attendre que le semis soit levé pour arroser, tandis que, selon Estienne et Liébaut, « sitôt que la terre sera pleine en tous endroits de semences, la faudra soigneusement arrouser, si d’aventure le lieu est sec de son naturel… La meilleure eau pour arrouser est celle de pluye ». Sinon, « l’eau de puits tirée du matin et mise au tonneau pour être échauffée des rayons du soleil pourra servir ».
Le jardinier serait capable de faire porter à chaque planche du jardin, fichée dans un bâtonnet fendu, non seulement le nom du légume ou de la fleur semée, mais le temps probable à attendre pour voir les premières pousses soulever la terre et celui, plus long, pour commencer à tirer profit de la plante, enfin la date plus lointaine où le terrain sera libre d’occupation, prêt pour une autre utilité s’il n’est pas trop tard dans la saison. Mais il est plutôt requis par deux combats nécessaires. L’un contre les escargots et limaces, car ce bétail à cornes aussi gluant que rampant dévore durant la nuit à peu près toutes les jeunes pousses. L’autre contre les plantes indésirables qui veulent leur part du terrain, de l’eau, des sucs minéraux.
Ces plantes sauvages, de croissance rapide et de grande résistance, d’autant qu’elles se ressèment elles-mêmes au cours de l’été, peuvent considérer que c’est le légume qui est l’intrus, mais puisqu’il s’agit d’un jardin, c’est à l’homme de décider qui doit prospérer et qui doit être arraché. Estienne et Liébaut le formulent de façon plaisante : « Faudra sarcler les bonnes herbes pour ôter les mauvaises qui consument leur nourriture et les offusquent. » Nous le savons tous, à bien désherber, biner le sol et arroser, le jardinier aide à s’épanouir les plantes semées ou repiquées, ainsi réduit-il la durée de sa propre attente. Un adage prétend qu’un binage vaut deux arrosages, il est en tout cas certain que jardiner après semailles et plantations, c’est prendre soin de la terre, la briser, l’aérer, que la rosée y pénètre, l’assouplir en surface pour faciliter la croissance des légumes et des fleurs.
Ces dernières, les fleurs, hors des vivaces qui remontent annuellement, se comportent par rapport au temps de trois façons. Certaines répandent tellement de graines autour d’elles, comme les soucis, que dès la terre remuée, ou même avant, elles produisent d’elles-mêmes leur renouveau. D’autres demandent à être semées – voire replantées quand elles atteignent 12 à 15 cm – et débarrassées elles aussi des herbes qui les « offusquent ». Commence alors pour le jardinier une deuxième attente après celle de la levée : l’attente de l’ouverture des fleurs, c’est-à-dire de l’éclatement des couleurs dans le jardin. Il y a d’ailleurs une autre attente de couleur, celle des fruits parmi lesquels fraises, groseilles et framboises sont premières, vite suivies par les cerises. C’est l’arrivée du rouge !
Enfin, il y a quelques espèces de fleurs, dites bisannuelles, qui doivent être semées puis entretenues durant un an et ne consentent à fleurir qu’au printemps suivant, seulement pour peu de mois. C’est le cas de la campanule à grosses fleurs roses, blanches et bleues dont feuilles et tiges sont velues. L’attente de leur coloration étant longue, elles doivent être placées dans le jardin de manière à ne pas gêner. Il est évident, en effet, que la disposition des planches pour les semis ou repiquages (choux) ou plantations (oignons), doit si possible tenir compte du temps particulier qui flotte au-dessus de chacune de ces surfaces : attente des floraisons, attente de l’enflure des légumes et des fruits, dont la consommation, elle, sera rapide pour les fruits, ou prolongée au contraire pour les légumes.
Il ne faudrait pas croire que toutes les plantes accourent vers le soleil dès que chaleur et lumière leur paraissent suffisantes : si la touffe vivace des asters ne fleurit dans les tons bleu-violet qu’à l’automne, c’est parce que son horloge biologique est réglée sur une luminosité moins forte que celle de l’été : la plante attend son heure.
Quand le temps des fleurs vivaces est cyclique, comme celui des arbres fruitiers et aussi de quelques herbes potagères (ciboulette, oseille, rhubarbe…), le temps des légumes et des fleurs semées peut être dit vectoriel puisqu’il va plus ou moins rapidement de la naissance, quand s’ouvre la graine, jusqu’à la mort, quand le légume est consommé ou que la fleur sèche (toutefois la graine leur permettra une enviable résurrection). Pour les échalotes et les oignons, le jardinier attend aussi le moment où leur feuillage a tant séché qu’il disparaît, en fin d’été, plus ou moins tôt selon la chaleur. Il convient alors de les arracher du sol où ils s’accrochent encore et de laisser leurs racines sécher elles aussi au soleil un jour ou deux avant de les remiser. Ces variétés d’oignons ont occupé leurs planches pendant au moins quatre mois mais, conservés au sec ils resteront, sous leurs nombreuses peaux, consommables pendant presque une année. Une part des échalotes pourra même servir de plant au mois d’avril suivant, grâce à l’attente hivernale des oignons.
Les fleurs, une fois fanées, réclament encore un peu de temps au jardinier, celui dont leurs graines ont besoin pour venir à maturité complète, il pourra alors, avant qu’elles tombent au sol, les recueillir : soit en pinçant le cœur même de la fleur (zinnias), soit en secouant leur loge sur un sac de papier (nigelles, pavots). Etienne et Liébaut donnent encore un conseil : « Les semences doivent être gardées en sachets ou vaisseaux qui ayent la bouche étroite, ou dedans boëttes ou bien calebasses et en lieu sec, car les semences dépérissent grandement à l’humidité ». Le rangement des diverses sortes de graines destinées à l’année suivante reproduit quelque peu, à l’abri de l’hiver, la distribution des plantes dans la conduite d’un jardin, alors mis en repos.
La paix que ressent le jardinier en son royaume est sans doute due à son acceptation de toutes ces parts de temps qu’il peut nommer de planche en planche, sur lesquelles son action personnelle sait avoir une certaine influence, mais limitée puisque la qualité de la terre, l’humeur du ciel et les caractères génétiques de chaque plante ne lui laissent qu’une place modeste. Cette gestion des temps du jardin paraît s’accorder mieux avec la vie humaine que tout autre travail.
Texte publié dans Habiter la terre en poète, Association Les Cabanons, 2013 © Jean-Loup Trassard
Le jardin est l’un des thèmes récurrent de l’œuvre de Jean-Loup Trassard : il est présent dans Eschyle en Mayenne comme dans Le Voyageur à l’échelle et d’autres textes, mais il constitue surtout le thème central de La composition du jardin.