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Les mots les plus terreux, par Jean-Loup Trassard (inédit, 2003)
La littérature française, la meilleure en tout cas, n’a offert que très peu de pages à
l’agriculture : je citerai « La terre » de Zola, car Balzac dans « Les paysans » ne dit mot des travaux
agricoles. Ce livre mis à part, il y eut surtout Giono pour évoquer en connaisseur la vie rurale de sa
région, si phantasmés que soient certains de ses livres. Une terre sèche, des paroles chantantes,
l’odeur des lavandes et toutes les étoiles au-dessus de la tête… voilà qui pouvait en effet séduire les citadins – j’ai aussi lu Giono avec passion – les lecteurs, en effet, sont plutôt à la ville et pour cette écrasante majorité, la terre profonde des régions de France n’est pas le sujet attendu. Ecrire sur la campagne, est-ce que ça ne fait pas un peu Joseph de Pesquidoux ? D’autres se croient-ils autorisés à évoquer Vichy quand ils n’étaient pas nés ? Je leur réponds : Virgile !
Bernard Lamarche-Vadel me disait peu avant de mourir : « Il y a les écrivains de la dénonciation et
ceux de la louange, je suis de ceux qui dénoncent le monde, vous êtes, vous, du côté de la
louange ». C’est assez bien vu. J’ai commencé dans l’écriture, enfant, par un exercice d’admiration
pour la campagne, et après, m’attachant plus précisément aux activités agricoles, je n’ai pas changé.
L’injustice est partout, et la dureté de vivre, mais à partir du XXe siècle – chaux, engrais – notre
région plutôt riche n’a pas trop connu la misère. Je crois bien cependant que le climat et le mode de
culture font le travail, chez nous, plus rude qu’en d’autres régions. L’habitat dispersé, comme le
manque de confort, rendaient aussi, avant électricité, puis voitures, puis téléphone, la vie plus
sauvage. D’autres causes ont disparu : l’emprise du curé sur ses paroissiens, ou le fait que les
fermes étaient petites et les cultivateurs des métayers ou fermiers, rarement propriétaires. Reste
encore qu’il n’y a ni grande ville dans les environs, ni tourisme (quoique par certains côtés on
puisse s’en réjouir !), pas de marchés dans les villages… Tout a contribué, pendant longtemps, à
doter notre campagne, au ciel souvent pluvieux, d’un caractère dans l’ensemble assez sourd.
Malgré quelques différences géologiques selon les quartiers, sensibles à ceux qui travaillent la terre,
les sols sont meubles et productifs, mais en comparant avec d’autres campagnes, j’ai toujours eu
l’impression que chez nous tout était très lourd et qu’en plus de la boue, due aux pluies fréquentes,
dans laquelle s’accomplit une part du travail, rien n’était fait pour alléger, on se targuait plutôt
d’être costaud. Colliers de chevaux, brabant, pieux de châtaignier, barrières, sacs de blé, betteraves
fourragères… je pourrais sur ce papier soulever de nombreux exemples. Avant le machinisme
moderne on remuait aussi beaucoup le fumier à la fourche et à la pelle.
Mais ce n’est pas, en effet, pour dénoncer le monde tel qu’il fonctionne, et la difficulté qu’avaient cultivateurs et artisans à gagner leur vie, à élever leurs enfants, que je me suis mis à écrire. Je ne nie pas qu’il y ait eu des pauvres et plus encore des injustices, mais tous, semblait-il, mangeaient, la misère n’était pas criante. On aurait pu même la confondre avec l’économie extrême que les moinsgênés pratiquaient. Peut-être parce que je suis né dans une famille bourgeoise, mon propos s’est tout de suite affirmé poétique. J’ai appris, les lectures me le confirmaient, qu’une terre comme la nôtre si elle avait suscité des livres ceux-là n’étaient guère entendus. Réjoui alors de savoir que la campagne qui me tenait à coeur se trouvait, en terme d’écriture, pratiquement inexploitée, je me suis attaché à la dire : champs et chemins, fermes et outils, artisanats et, selon les saisons, tous travaux agricoles.Montrant, bien sûr, mais indirectement, la vie de ceux qui maniaient les outils, guidaient les chevaux ou le tracteur, trayaient les vaches, eux dont l’ouvrage dépend si étroitement de la terre et du ciel. Je continue encore, car l’imperfection de l’écriture, qui veut à la fois saisir le réel et le transcender, fait qu’un livre en cours d’invention rencontre, comme le chemin un chemin plus creux, l’envie de s’approcher mieux des choses dans le livre suivant. Je tente d’élever le plus haut possible dans la littérature l’image, non pas plane mais profonde, de notre campagne telle que, pour ma part, je la vois et la ressens.