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NOUS SOMMES LE SANG DE CETTE GÉNISSE
récits.
Gallimard, 1995.
256 pages, 140 x 205 mm.
4e de couverture :
« Nous sommes le sang de cette génisse », affirment les Danaïdes au roi des Pélasges en demandant l'hospitalité. Elles descendent en effet de Io, cette vache qui d'abord a été jeune fille en Argos. Est-ce parce qu'il fut nourri au lait d'une vache particulière, ou parce que tous se frottent encore chaque jour à la rouge et chaude robe des vaches ? L'auteur réclame pour lui, ses narrateurs, ses personnages, une telle filiation cornue et mugissante, profondément enracinée avec l'herbe à brouter dans une campagne de l'Ouest. Tandis qu'en leur milieu court la haie, long territoire hors cadastre qui les partage en bocage, chacun des récits fait éclore un été. Or, dans l'odeur piquante des foins ou la chaleur des moissons, l'été, on le sait, délie les sensualités, depuis celle des vaches qui attendent le taureau jusqu'au pied délicat posant sur la rosée son empreinte incertaine. Dans un lien violent à la terre, accomplissant les tâches nécessaires au lait, à l'herbe sèche, au feu, les présences qui traversent ces récits meuglent toutes, fût-ce de façon muette, leur douceur, leur désir, et leur étonnement.
JLT
Sommaire :
- Discrète nomination d’un flamine
- Nous sommes le sang de cette génisse
- La cane sauvage
- Terre à hauteur d’épaule
- Lunes grises
- Divagations des chiens
Aperçu :
À voir leur sourire si brusquement voilé – le bleu du regard s’oxyde comme une lame au toucher de la sève, les heureux petits plis autour des yeux se grippent en froncement de courroux – encore une fois je les imagine se ralliant, téléphone deux-chevaux Renault-cinq, et, armées de triques descendant aux prairies, pour en finir, forte troupe d’indéfrisables contre les cheveux longs et lisses qu’elles veulent bras tordus empoigner attacher faire un nœud à une branche, larges corps qui s’échauffent transpirent qui de leur poids comptent surprendre saisir et accabler « ceute sal’tée-là » et les bras solides habitués aux brancards d’une civière de fumier, aux deux seyées de lait à verser dans la buis ou de flotte pour les vaches, serrent déjà, veulent punir, cette taille fine, souple entre les joncs, qui se glisse sous les fils, par les brèches lumineuses des haies s’enfuit, non, non, si elle revenait on l’attraperait ! pas besoin de curé, de gendarmes, de chiens… Elles voient la course et le relais, chemins barrés, les jeunes seins entre les épines, contre les piquants du barbelé, elles n’osent pas inventer, au moment où elle se lèvera de son gîte, la petite toison rousse entre les marguerites, ni durant la poursuite haletante les fesses pommées, brunies par le soleil, mais leur rancune déjà s’empare du harpon luisant qu’elles manient d’ordinaire pour arracher le foin foulé sous les hangars.
Extrait de La cane sauvage
Critique :
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Richard Blin, Recueil, n° 35, novembre 95.
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Jean-Claude Bourlès, « Roman mythologique », Le Mutualiste Breton, juillet 1995.
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Didier Pobel, « Campagne morte et vive campagne », Le Dauphiné Libéré, 19 juin 1995.
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Pierre-Robert Leclercq, « Les Bucoliques de Trassard », Le Monde, 2 juin 1995.
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Jean-Claude Lebrun, « Virgile en Mayenne »,
L’Humanité, 2 juin 1995 :
Dans cet univers aux contours tangibles et à la palpable pesanteur, les êtres ne sont aucunement absents. Mêlés aux visions de terre, de forêt, de haies, d’herbe et de pluie, ils font entendre tout du long leur langue à la saveur de terroir, avec ses drôleries et ses pudeurs pour dire ce qui anime en secret les esprits et les corps, comme pour exprimer toute la richesse d’un antique savoir rural en voie de disparition. […] Un livre qui tient la gageure de se présenter à la fois comme savant et chargé d’une admirable poésie sensuelle.
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Gérard Bodinier, « Jean-Loup Trassard : les travaux, les jours et les mythes », Le Provençal, 21 mai 1995.
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Anne Walter (Serre), « Les métamoprhoses de Trassard », Marie-Claire, n° 513, mai 1995.
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Michel Crépu, « Jean-Loup Trassard aux champs », La Croix, 23 avril 1995.
- Dominique Guiou, « Parties de campagne... », Le Figaro, 13 avril 1995 :
La langue de Jean-Loup Trassard est tout à la fois celle d’un géographe, d’un botaniste, d’une ethnologue, d’un vétérinaire, d’un garde forestier, d’un paysan. Les bribes de parler patois, âpre et minimal, qui reviennent comme un leitmotiv dans ces pages, rappellent que ses récits, malgré leur caractère fantastique ou poétique, s’ancrent dans le vécu. Mais Trassard est surtout un somptueux prosateur.
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Francine de Martinoir, « Une voix virgilienne », La Quinzaine littéraire, n° 667, 1er avril 1995.
Étude :
Julien Guerrier, « Mythe et réalité dans Nous sommes le sang de cette génisse de Jean-Loup Trassard », Mémoire de maîtrise, Lettres, Université d’Angers, 1999 (137 pages dactyl.).