L'ÉROSION INTÉRIEURE
récits.
Gallimard, coll. Le Chemin, 1965.
216 pages, 140 x 205 mm.
Par le labyrinthe des rues, des cavernes, des chambres, sous les arbres de la forêt, sous la nuit, les personnages de ces douze nouvelles plongent d’une manière absolue dans l’univers qui leur est propre – celui du sourcier chercheur d’eau ou du guérisseur par les plantes, comme pour d’autres de la chasse à courre ou de l’élévation dans les airs – tandis qu’un mouvement intérieur, parallèle, les conduit à descendre en eux-mêmes, encore ignorants de la profondeur à laquelle ils devront se perdre. Leur démarche est une fuite, mais elle est aussi quête d’une sorte d’initiation au mystère de leur existence. Et l’on s’aperçoit que cette lente progression vers un lieu de repos que le corps cherche sous la terre et que la pensée trouve dans l’espace des rêves, comme la présence de ces grandes maisons qui conservent le temps et dispensent leur protection, tout concourt à faire de ces récits les pas sensibles d’un retour onirique à la mère et par elle à l’enfance qui était le temps sans la mort.
JLT
Sommaire :
- Le cœur végétal
- Le réséda de mes trente ans
- La verticalité des plages
- Les matricaires
- Bêtes qui traînent la heude
- Quand l’eau se fera quartz
- Dans l’œil des foulques
- Me réduire à force de chiens
- Le voleur
- Le dicton de l’orme
- Le jour est un fils oublieux
Aperçu :
Je guide la barque sous la maison et là s’éteignent les bruits frais de l’eau. Me retournant, je vois au-delà de la voûte luire la surface de l’étang, d’un éclat sourd qui ne paraît pas quand je rame. Mais tout est sombre dans l’eau qui entre sous les murs et par laquelle l’étang et la maison se connaissent de l’intérieur. J’attache la barque et gravis l’escalier sans voir les marches.
Partie la nuit, elle reviendra la nuit peut-être. Je l’apercevrai blanche sur la berge et la barque me portera vers elle. Pour vivre une seconde fois il me faut simplement attendre parmi les feuilles jaunies des nymphéas, parmi les voiles d’un brouillard qui traîne bas sur l’eau.
Extrait de Le jour est un fils oublieux
Critique :
- Didier Coste, Critique, mai 1966.
- René Wintzen, Témoignage Chrétien, 7 octobre 1965 :
La vision de Jean-Loup Trassard est celle du poète. Ses récits sont composés comme de larges, d’amples poèmes en prose. Sa phrase est souple, belle, rythmée, harmonieuse. Tout ici est d’une grande beauté, d’une magie superbe.
- Jacques Chessex, La Nouvelle Revue Française, octobre 1965.
- René Lacôte, Les Lettres Françaises, 23 septembre 1965 :
… je dirai donc que Jean-Loup Trassard est un grand écrivain, l’un des plus authentiques qui se soient révélés ces dernières années… L’essentiel est de reconnaître ce qu’il y a d’irremplaçable dans cette œuvre nouvelle, ce qu’on ne paraît pas beaucoup y avoir vu dans les quelques notes des journaux, et qui est une ardente célébration de la nature, d’une nature en péril, dévorée sous les effets d’une aliénation qui se propage comme un incendie.
- Pierre Pirard, La Libre Belgique, 17 septembre 1965.
- François Nourrissier, Les Nouvelles Littéraires, 2 septembre 1965 :
La constatation que Jean-Loup Trassard possède une langue de qualité exceptionnelle permet d’attendre avec curiosité ce que fera cet écrivain propriétaire du double instrument – écriture et sensibilité – sans quoi n’existe aucune œuvre. On voit, au reste, les limites d’un tel art et les dangers qui le guettent. Jean-Loup Trassard, à force de hiératisme et d’obscurité, à force de complaisance pour ses thèmes et leurs images, risque de glisser à l’excès de sérieux et d’imposer un vague ennui.
- Philippe Jaccottet, « Explorateurs », La Gazette de Lausanne, 3 juillet 1965 :
On traverse ces variations comme une longue rêverie harmonieuse et sensuelle, colorée parfois d’angoisse, parfois d’ivresse, et qui tendent par la continuité du rythme, la multiplicité des images et leur entrelacement, à tisser une trame de rapports entre la terre et l’âme, comme pour que celle-ci n’aille pas se perdre dans l’irréel.
- Georges Anex, « Au-dessous du sommeil », Le Journal de Genève, 26 juin 1965 :
Ce sont des nœuds de sensations, des violences cachées, des songes lointains qu’il tente d’appréhender, descendant aux lieux clos où s’opère la croissance sourde de la vie. Le sens de cette recherche passe par les mots, les images, les rythmes qu’elle invente au fur et à mesure et se développe au gré d’une savante et mouvante architecture.
- Matthieu Galey, « Pêche en eaux troubles », Arts, 16 juin 1965 :
Cette plongée symbolique nous ramène aux sources de l’être, à l’obscurité originelle ; on en revient changé, un peu étourdi, égaré. Mais surtout surpris par cette maîtrise du langage, d’une splendeur assez rare. Très rare, même.
- Frantz André Burguet, « Le ciel dans les flaques », L’Express, 7 juin 1965 :
Dans le second recueil de Jean-Loup Trassard, nous retrouvons avec le même émoi et la même exaspération ce narrateur hautain, justement sûr de sa langue, qui atteint souvent au sommet de l’art d’écrire.
Étude :
- Atsuko Nagaï (Université Sophia, Japon), « L’Érosion intérieure : une flânerie en trois dimensions », in L’Écriture du bocage : Sur les chemins de Jean-Loup Trassard, Angers, Presses de l’Université d’Angers, 2000, p. 223-235.
Traduction :
- Le cœur végétal a été publié en suédois (traduction de Carl Gustav Bjurström) dans le journal Dagens Nyheter du 28 février 1971.